DANS LA LOUE, LES HECATOMBES DE POISSONS CONTINUENT
En janvier 2021, le président de la Fédération de pêche du Doubs, Gérard Mougin, a interpellé le préfet sur la mortalité massive des truites dans la Loue. Les poissons sont de nouveau victimes d'une maladie appelée saprolégniose qui ne survient que dans un milieu aquatique dégradé. Plus de dix ans après la première vague de mortalité de truites et d'ombres qui avait affecté la Loue, c'est un nouveau coup dur pour les passionnés de la rivière et de sa belle vallée. Les études conduites par l'Université de Franche-Comté ont montré que la pollution par des produits toxiques, même à faible dose et les excès de nitrates et de phosphates étaient responsables de la dégradation des milieux aquatiques à l'origine de ces hécatombes. Il faut donc s'interroger sur le rôle de l'agriculture intensive et les déficiences de l'assainissement.
Une catastrophe écologique
Cette histoire de mortalité de poissons n'est pas nouvelle. Elle commence aux printemps 2009 et 2010. On retrouve alors un nombre assez impressionnant de truites et d'ombres, le ventre en l'air et le corps couvert de taches blanches provoquées par un champignon parasite : le sapolegnia. Le désastre émeut les pêcheurs et les associations de protection de la nature et inquiète les élus et les services de l'Etat. Le 11 juin 2010, une manifestation est organisée et un cercueil est promené dans les rues d'Ornans comme symbole de cette mort de la Loue et de ses salmonidés. Pour continuer d'agir pour la protection de la Loue, le Collectif SOS-Loue est créé. En août 2020, Isabelle Brunnarius, journaliste à FR3 posait la question dans son blog : « Dix ans après les mortalités des truites dans la Loue, la rivière a-t-elle été sauvée ? » (1). Aujourd'hui les faits parlent et répondent donc à la question par la négative…
Pourtant, après les mortalités enregistrée en 2009 et 2010 tout le monde était inquiet. Il y avait un paradoxe : officiellement la Loue était considérée comme une rivière en « bon état écologique » d'après les critères de la Directive européenne sur l'eau. Les responsables du département et de la préfecture en viennent donc à s'interroger sur les normes elles-mêmes : en région karstique, les sols et les sous-sols ont une très faible capacité de filtration et les rejets des activités humaines se retrouvent très vite dans les rivières. Dans ces conditions, les normes sont peut-être trop permissives. Pour essayer d'apporter des réponses, et « agir plus vite et plus fort » les premières Assises de la Loue sont organisées le 11 octobre 2012 par la Préfecture et le Département. Les conclusions disent que l'origine du problème est « multi-factoriel » et qu'il faut faire de nouvelles études. Les défenseurs des rivières, regroupés au sein du Collectif « SOS Loue et Rivières Comtoises », ont l'impression que c'est une façon de retarder encore l'action…
Problèmes dus à l'agriculture intensive…
De nouvelles études ont donc été réalisées. Une synthèse sur l'état de santé de la Loue est publiée en février 2020. C'est le fruit du travail d'un groupe de chercheurs du laboratoire Chrono-environnement de l'Université de Franche-Comté cordonné par Pierre-Marie Badot et François Degiorgi. Les chercheurs mettent en évidence deux causes principales : en premier lieu l'intensification de l'agriculture et en second lieu la collecte et le traitement des eaux usées. D'autres causes non négligeables sont citées aussi comme le traitement des grumes en forêt, les utilisations domestiques de produits toxiques pour la faune aquatiques et les contaminations par des hydrocarbures provenants de la dégradation des enrobés routiers (2).
Avec le développement de l'élevage intensif et l'augmentation de la production du comté, la quantité d'effluents d'élevage (fumier ou lisier) à épandre dans les champs a dépassé les capacités d'épuration naturelle. La situation est d'autant plus grave que cela se situe dans une région karstique, avec des sols très légers qui n'ont pas une capacité suffisante de filtrer l'eau et de retenir les fertilisants. En période de pluie, le lessivage des prairies entraîne une forte augmentation des teneurs en nitrates des rivières comtoises : Doubs, Loue, Lison, Dessoubre, Cusencin, etc. Ce phénomène a été encore accentué par la généralisation du lisier, plus sensible que le fumier au lessivage.
Dans une interview à L'Est Républicain du 7 janvier 2021, le chercheur en hydroécologie François Degiorgi rappelait qu'un rapport avait déjà été publié en 2000 pour dire que « la Loue se cassait la gueule et qu'en 1990 c'était déjà la catastrophe pour les insectes ». Or les insectes sont la base de la nourriture des truites, et la situation a continué à se dégrader pour arriver aux hécatombes de poissons de 2010. Et malgré les bonnes résolutions et les quelques actions entreprises après les Assises de la Loue, par exemple pour mieux maîtriser les épandages de fertilisants, entre 2010 et 2020 la rivière n'a pas retrouvé sa bonne santé écologique. Pour les ONG de l'environnement, regroupées au sein du collectif SOS Loue et Rivières Comtoises, la seule solution serait de passer l'ensemble de la filière comté au bio, en dix ans,. La baisse de production qui en résulterait soulagerait les rivières alors que le revenu des agriculteurs pourrait être maintenu par les économies d'intrants réalisées et par une meilleure rémunération des agriculteurs.
… mais l'assainissement en cause aussi
On sait depuis le début du vingtième siècle que la Loue est une résurgence. Une partie des eaux qui alimentent la source de la Loue provient du Doubs en aval de Pontarlier et la qualité de cette eau subit les effets néfastes de l'augmentation de la population et des activités économiques de l'agglomération pontissalienne. Par exemple, les analyses de l'Agence de l'Eau détectent, à Mouthier-Haute-Pierre, des centaines de micro-polluants : résidus de pesticides (insecticides, herbicides, fongicides) et de médicaments, métaux lourds… Certes, chaque micro-polluant est présent à une concentration inférieure aux normes de potabilité, mais les effets cumulés de ces toxiques, même à faible dose, sont problématiques pour la faune aquatique. Dans un article publié dans la Revue de la Société d'Histoire Naturelle du Doubs, l'écologue Gilles Séné résume le processus : « Les excréments, urines et autres matières organiques transitant par l'eau jusqu'aux STEP transfèrent aussi un ensemble de pesticides liés aux denrées alimentaires et pratiques agricoles les ayant produites ».
À Ornans, le rapport du délégataire chargé de l'assainissement signale depuis plusieurs années, aux responsables de la commune, la saturation de la station d'épuration à certaines périodes. D'autre part, plusieurs centaines de maisons de la commune ne sont pas raccordées au système d'assainissement collectif et on a encore des déversement directs d'eaux usées dans la rivière. Le 21 janvier, la Communauté de communes Loue-Lison a pris une délibération en faveur d'un « Plan Marshall » de l'assainissement (communiqué). La Communauté de communes qui englobe une bonne partie du cours de la Loue est le bon niveau d'intervention, mais il ne faudrait pas oublier de prévoir des systèmes d'élimination des micro-polluants. Si la compétence « assainissement » est retardée à 2026 par le jeu d'une minorité de blocage de certaines communes, la nouvelle maire d'Ornans, Isabelle Guillame, et son équipe municipale sont bien décidés à ne pas attendre. Ce sont deux chantiers qui devraient être lancés : la rénovation de la station d'épuration et les raccordements au système d'assainissement en liaison avec le réaménagement du centre ville. Les associations environnementales vont suivre ces questions avec attention, mais c'est une bonne nouvelle pour les truites…
On l'aura compris : la situation de la Loue et des rivières comtoises ne pourra s'améliorer que si des mesures drastiques sont enfin prises sur l'ensemble des bassins versants, à la fois pour réduire les quantités d'azote, de phosphates et de toxiques à la source et pour améliorer tous les systèmes d'assainissement de la vallée.
Gérard Mamet
(2) https://chrono-environnement.univ-fcomte.fr/IMG/pdf/prgmrivie_reskarstiquesgrandpublic_fev_2020.pdf
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